Ce 12 mars devait s'ouvrir le procès de Ihsane El Kadi, mon ami, journaliste et directeur de Radio M et Magreb Émergent, dont les locaux sont sous scellés depuis près de 3 mois. Il doit répondre au chef d'accusation d'avoir reçu de l'argent de l'étranger aux fins de propagande politique. Il s'agit d'un billet pour lui dire tout mon soutien dans cette épreuve et prendre date sur ce procès qui soulève un large mouvement de soutien tant au niveau national qu'international.
Cher Ihsane,
Aujourd’hui tu passes devant les représentants de la Justice de notre pays. La Justice est le dernier recours des citoyens. Dans ce pays où la démocratie jamais n’a pu s’incarner, où les imitations de certains rituels démocratiques, en particulier les élections, ne trompent personne, la Justice et l’Etat de droit sont le point de non retour. Les juges seront en leur âme et conscience la dernière chance de ce principe. Ils leur appartient de l’inscrire dans la réalité. Un principe minimal, plus exactement premier, souverain, n’obéissant à aucune conjoncture, un principe fondamental des Nations. Irrévocable. Sans ce principe toute idée de pays, de nation, de société, de politique, d’économie, de sciences et de savoirs, d’art, de culture, d’amour et de liberté, et de tout ce qui caractérise la volonté humaine, des femmes et des hommes, d’appartenir à la même terre et de vivre en ensemble, n’aurait aucun sens.
Nous sommes nombreux à partager ces idées. Certains, et toi ici, sont privés de liberté, d’être avec ceux qu’ils aiment, privés de recevoir et de donner cet amour sans quoi un engagement politique ne serait nourri et porté par une vitalité joyeuse et confiante, comme celle qui t’habite, Ihsane, toujours souriant et bienveillant. Tu es privé aussi, l’ami, de ce printemps précoce qui arrive et gonfle d’une sève inépuisable Algérie.
Ce que je dis ici, et tu seras en accord avec moi, ce sont des voeux prononcés solennellement pour sauver et sortir, enfin !, les générations qui arrivent de ces tragédies qui ont accompagné ma génération, puis la tienne, et celle de ton enfant si courageuse, d‘ouvrir la possibilité de rapports plus sains avec le pays, de trouver le chemin de la légèreté, de la joie, et de laisser passer toutes les exigences de la vie. De tourner la page de l’« exception » algérienne dont nous nous nourrissons malgré nous.
Les disciples de Galilée, le voyant sortir libre du tribunal de l'Eglise psalmodient : « Malheur à un pays qui n’as pas de héros ». Celui qui savait tout de la terre et du soleil répond : « Malheur à un pays qui a besoin de héros » ( « La vie de Galillée », Bertolt Brecht)
Wassyla Tamzali: Écrivaine, féministe et directrice des Ateliers Sauvages - Centre d'Art Contemporain - Alger Billet de blog 12 mars 2023