Le journaliste algérien Ihsane El Kadi, directeur des sites d’information Radio M et Maghreb Emergent, a été condamné, le 2 avril 2023, à une peine de cinq ans de prison dont trois ferme par le tribunal de Sidi M’hamed à Alger, après trois mois de détention.
Le tribunal a également prononcé la dissolution de la société Interface Médias, éditrice de Radio M et Maghreb Emergent, la confiscation des biens saisis, et 10 millions de dinars d’amende (environ 68 000 euros), indique le site Radio M qui précise que le journaliste incarcéré a fait appel de la décision.
Arrêté dans la nuit du 24 décembre 2022 à son domicile et placé en détention provisoire après six jours de garde à vue, Ihsane El Kadi a été condamné sur la base des articles 95 et 95 bis du code pénal relatifs à la « réception de fonds de l’étranger à des fins de propagande » et « pour accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale et au fonctionnement normal des institutions ».
Dans un communiqué, publié au lendemain de la condamnation, la famille d’Ihsane El Kadi a dénoncé un « lourd verdict » fondé sur un dossier à la « vacuité ahurissante » tout en saluant l’ « incessant combat pour une presse libre, professionnelle et indépendante » du journaliste.
Contrairement aux apparences, nous considérons ce déni de justice commis à l’encontre d’Ihsane El Kadi comme une victoire. D’abord, à travers son boycott d’une justice mise au pas, sa courageuse défense de rupture, et par sa capacité à mettre sous les projecteurs de l’opinion internationale cette terrible répression qui s’abat sur les libertés collectives et individuelles en Algérie, souligne le communiqué.
Le silence et le boycott face à l’absence de procès équitable
Le collectif des avocats de la défense d’Ihsane El Kadi avait en effet annoncé, début mars, dans un communiqué la décision de boycott de l’audience en réponse « aux violations juridiques qui ont entaché l’affaire à commencer par son arrestation, son placement en mandat de dépôt et son maintien en détention provisoire, en passant par la mise sous-scellés du siège d’ “Interface Medias” sans décision judiciaire comme l’exigent la Constitution et la Loi sur l’information ». Toutes ces raisons expliquent la volonté du journaliste d’observer le silence pendant l’audience.
La condamnation du directeur d’Interface médias est apparu inévitable à partir du 24 février 2023, lorsque le président Abdelmadjid Tebboune l’a accusé, au cours d’un entretien à la télévision nationale, d’être un « khabardji », un terme infamant signifiant « indic » ou informateur de puissances étrangères.
Lors de son procès le 26 mars à Alger, Ihsane El Kadi a d’ailleurs déclaré, dans une de ses rares prises de parole : « Je ne suis pas contre la justice. Je pouvais changer d’avis une fois devant le tribunal, mais le 24 février dernier le président de la République m’a offensé », rapporte le site d’information algérien Twala.
Une intense mobilisation à l'international et sur la toile
Depuis son arrestation, Ihsane El Kadi, journaliste aguerri connu dans le monde entier pour ses articles sur l’Algérie, bénéficie d’un large soutien de la part d’ONG internationales, notamment Reporters sans frontières (RSF) dont la pétition pour « demander sa libération et la fin des entraves contre les médias qu’il dirige » a recueilli plus de 15 000 signatures.
Un collectif international d’avocats regroupant 12 avocats originaires de Tunisie, Maroc, Mauritanie, Belgique et France s’est constitué début février pour défendre Ihsane El Kadi, aux côtés du collectif des avocats algériens, devant les tribunaux d’Algérie et les instances internationales.
Un site d’information et de solidarité « Ihsane El Kadi solidaires » a aussi été mis en ligne. Il rassemble tous les articles publiés sur Ihsane El Kadi en Algérie et dans la presse internationale de langue française, anglaise, arabe, italienne, etc., ainsi que des témoignages souvent très touchants.
Parmi eux, celui de Lamia Yousfi, publié fin mars, décrit avec finesse les sentiments ambivalents de ceux et celles resté·es à l’extérieur de la prison.
Je me demande souvent ce que l’on ressent lorsqu’on est privé de sa liberté, comment tuer le temps, ne pas céder à l’angoisse du monde extérieur en mouvement ? […] Je sais que tout cet espace, tu l’emploieras à bon escient, c’est ton champ de bataille. En attendant, de l’autre côté des « façades», rien ne va plus ! Mais nous sommes nombreux, dans une solidarité active et déterminée, fidèles à nos principes, à attendre ton retour, là où se trouve ta place, auprès de ta famille, de tes amis et de tes collègues.