Djemaa Maazouzi @Ihsane El Kadi Solidaires
J'ai connu El Kadi Ihsane bien avant de le rencontrer : je tentais de comprendre un de ses éditos dans Horizons (quotidien du soir sportif) tandis que l'entreprise de mes 20 ans était celle du déchiffrage de l'Algérie. Je rejoignais alors sur le campus de l'université de Constantine celles et ceux qui commençaient à construire le mouvement étudiant en 1987, sa coordination puis son syndicat autonome et démocratique (SNEA-AD) en 1988, 1989. Je l'ai rencontré en personne à La Tribune qui naissait en 1994 : rédacteur en chef, il me confia la tâche de diriger la rubrique culturelle de ce journal. J'ai continué mon double apprentissage de l'Algérie (êtres et systèmes) ces années-là alors qu'on s'initiait avec lui à la (manu)facture artisanale (le cœur sur la main, littéralement) d'un "bon journal" c'est à dire de celle qui consistait à mener quotidiennement un travail honnête et exigeant en pleine conjoncture mutante. En tentant du mieux que nous pouvions de tenir en respect la mort de toute fraternité et déni d'humanité. Avec tout l'égard que méritait ce pays et ses héritages : idéaux solidaires de courage et d'honneur.
Ces idéaux sont demeurés intacts dans la ligne de conduite d'Ihsane.
Quand je pense à lui, le premier mot qui me vient est « confiance » : celle qu'il inspire par son approche des choses, patiente et profonde pour questionner, comprendre, analyser, reconsidérer, confirmer, étayer un élément de connaissance.
La confiance qu’inspire Ihsane mêle la puissance mentale que confère l'intime conviction de défendre une cause juste et l'inventivité que voit magiquement naître la combativité elle-même. Elle emprunte à Nelson Mandela et à Mohammed Ali. En prison aujourd'hui, il tient de ces deux figures qu’il a toujours admirées.
Confiante est sa démarche par la dissection des raisons et des impératifs, des données et des rapports de forces, des mises en perspective d'une réalité et de ses appréhensions. Son motif, sa dynamique, son enthousiasme, son impulsion de vie - professionnelle, civique et citoyenne - reposent sur la certitude que tout ce qui se fera, le sera dans un patient et entêté effort de pensée jamais dissocié de l'action.
Ihsane a toujours eu confiance au combat pour la justice et en la justesse de ce combat. Il a toujours eu confiance en la nation algérienne et en son avenir à advenir dans la dignité et la liberté. Exprimer mon soutien à Ihsane aujourd'hui c'est aussi exprimer toute ma solidarité à celles et ceux qui croupissent en prison, broyés par la lâcheté à laquelle condamne cruellement un arbitraire inique aggravé par l'éloignement de la capitale.
J'ai pris cette photo en mars 1996, nous étions en route pour Tifariti, un petit village saharaoui plusieurs fois victime de la répression coloniale espagnole et des bombardements au napalm des Marocains. Situé à 300 km de la frontière algérienne, à une vingtaine de kilomètres du Nord de la Mauritanie, dans une zone alors libérée du Sahara occidental par le Front Polisario. Les militaires du Front voulaient montrer à la délégation internationale de journalistes que nous formions (composée d’Algériens, de Sud-Africains et d’Espagnols notamment) le mur qu’avait érigé le Royaume chérifien pour séparer cette bande de terre libérée des territoires qu’il occupait.
J’étais arrivée quelques jours auparavant, fin février 1996, dans le camp de réfugiés sahraouis de Smara, le plus ancien et le plus proche de Tindouf, comme envoyée spéciale afin de couvrir le Congrès des femmes sahraouies. Ihsane et le photographe de La Tribune m'y rejoignirent pour les festivités du XXe anniversaire de la proclamation de la RASD. C’est dans ce camp, par l’accueil que me réservèrent les membres de cette nation en guerre et en exil, que j’appris ce que voulait dire « être algérienne ».
Sur la photo, dans les yeux, le sourire et la posture d'Ihsane, on saisit ce que signifie se tenir aux côtés de ceux qui croient au combat pour le droit de leur nation à exister librement et dignement.
Djemaa Maazouzi, Montréal, le 15 mars 2023.