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Le journaliste Ihsane El Kadi pris dans l’étau géopolitique - La Croix




La cour d’appel d’Alger a condamné le patron de presse Ihsane El Kadi, emprisonné depuis décembre, à sept ans de prison dont cinq ans ferme, soit deux ans de plus qu’en première instance, pour « atteinte à la sûreté de l’État ». Un verdict « politique », selon ses proches.


Le 21/06/2023

Même son compagnon de cellule, avocat enfermé pour avoir évoqué une affaire de corruption, n’en croyait pas ses yeux. Pour lui, il était évident que le patron de presse Ihsane El Kadi, sous les verrous depuis décembre, devait être le prochain, parmi les quelque 300 prisonniers politiques d’Algérie, à retrouver le chemin de la liberté.


Peine perdue

Le procès s’était plutôt bien passé. Ses dix avocats avaient plaidé avec brio, dimanche 18 juin. Ils avaient rejeté le dossier vide contre le journaliste accusé « d’avoir reçu des sommes d’argent et des privilèges de la part de personnes et d’organisations dans le pays et à l’étranger afin de se livrer à des activités susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l’État et sa stabilité ». Le procureur a lui-même reconnu des violations dans les procédures. En vain.


Ihsane El Kadi, dirigeant d’Interface Médias (qui comprend Radio M et le site d’information Maghreb émergent), s’est vu infliger une peine de sept ans de prison dont cinq ans ferme, soit deux ans de plus qu’en première instance. Le verdict, tombé par visioconférence, est particulièrement lourd. D’ordinaire en Algérie, les détenus d’opinion en prennent pour quatre ou cinq ans de prison.


Les proches du journaliste parlent d’un « coup de massue pour le faire taire ». Mais Ihsane El Kadi « garde le moral, assure son entourage. Si le verdict est politique, c’est que la solution peut être politique elle aussi ».


Tenir malgré tout

Incarcéré à la prison d’El-Harrach à Alger depuis le 29 décembre, Ihsane El Kadi est désormais confronté à la fournaise des cellules algériennes, en plein été. Il est autorisé à recevoir une visite familiale toutes les deux semaines. À cette occasion, son épouse peut lui laisser trois livres. Le journaliste peut communiquer par courrier à condition que l’administration pénitentiaire vérifie le contenu. Dernière petite liberté, enfin : la salle de sport, accessible deux fois par semaine. Indispensable pour tenir.


Pourtant, les défenseurs d’Ihsane El Kadi pensaient voir le bout du tunnel. Certes, la visite d’État à Paris d’Abdelmadjid Tebboune prévue les 2 et 3 mai a été déprogrammée sur fond de brouille diplomatique entre l’Algérie et la France. Une occasion manquée de tempérer le régime algérien.


Cependant, le président algérien semblait prêt à faire un geste, le 3 mai, à l’occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse. À cette occasion, le représentant de l’ONG Reporters sans frontières (RSF), Khaled Drareni, avait plaidé la cause d’Ihsane El Kadi et des autres journalistes emprisonnés. Abdelmadjid Tebboune avait alors promis « une nouvelle page » avec la presse nationale.


Dans le giron de Moscou

La mécanique des tractations s’est ensuite grippée, dans la foulée d’une résolution adoptée le 11 mai par le Parlement européen qui demande la « libération immédiate et inconditionnelle » du patron de presse et appelle les autorités algériennes à respecter la liberté des médias. Le Parlement algérien a immédiatement dénoncé l’initiative comme une « ingérence flagrante dans les affaires d’un pays souverain ».


Les tensions entre Alger et Paris se sont ravivées depuis la réintroduction d’un couplet antifrançais dans l’hymne national algérien. Puis Abdelmadjid Tebboune s’est rendu le 16 juin à Moscou afin d’intensifier les partenariats avec la Russie. Le président a multiplié les épithètes élogieuses à l’endroit de Vladimir Poutine, jugé « franc et amical », et même « un ami de l’humanité ».


Ihsane El Kadi se retrouve ainsi dans l’étau géopolitique. « La partie n’est pas encore terminée, espère un défenseur du journaliste qui s’en remet à l’Élysée. La France n’a pour le moment pas joué son rôle, mais elle garde encore une grande influence en Algérie. »


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