Facebook0">Twitter0
Ce 23 décembre 2023 marque la première année depuis l’arrestation du journaliste, Ihsane El Kadi, directeur de Radio M et de Maghreb Emergent. Le journaliste a été arrêté chez lui, à minuit, par six agents de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), sans présentation des charges retenues contre lui. Le lendemain, les locaux d’Interface Médias, société éditrice des deux médias, ont été perquisitionnés et mis sous scellés sans autorisation du parquet.
Accusé de « perception de fonds à des fins de propagande et d’accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la stabilité et à la sécurité de l’État, au fonctionnement normal de ses institutions, à l’ordre public… », Ihsane El Kadi a été condamné à cinq ans de prison ferme et de deux ans avec sursis. Un jugement définitif après le rejet de la Cour suprême, le 12 octobre 2023, de son pourvoi en cassation. La justice a également prononcé par contumace la dissolution d’Interface Médias, éditrice de Radio M et de Maghreb Emergent, et lui a infligé une lourde amende de 10 millions de dinars à verser au trésor public et d’un million de dinars de dédommagement à l’ARAV, qui selon les avocats n’avait pas les prérogatives pour se porter partie civile.
L’affaire d’Ihsane El Kadi a fait couler beaucoup d’encre et suscité une vague de solidarité et d’indignation à l’échelle nationale et internationale. A l’instar des réactions de la sphère politique, intellectuelle, médiatique et de défense des droits humains, trois pétitions ont été lancées en sa faveur, dont celles d’Amnesty International et de Reporters sans Frontières. Cette dernière a reccueilli plus de 20 000 signatures. Seize patrons de presse internationale, dont le prix Nobel de la paix Dmitri Mouratov, ont dénoncé « une attaque intolérable contre la liberté de la presse » et appelé, dans une tribune, à la remise en liberté d’Ihsane El Kadi. Dix intellectuels de renommée mondiale, dont Noam Chomsky et Annie Ernaux, prix Nobel de littérature, ont adressé, de leur côté, une lettre ouverte au Président Abdelmadjid Tebboune demandant la libération d’Ihsane El Kadi et de tous les détenus d’opinion.
Condamné avant d’être jugé
Ihsane El Kadi n’a pas eu un procès équitable. Il a, avec son collectif de défense, boycotté l’audience du procès de première instance qui s’est tenu le 26 mars 2023. Un choix motivé par les irrégularités et les violations des procédures qui ont entaché cette affaire ainsi que l’intervention de l’exécutif dans une affaire de justice. Ihsane El Kadi a refusé de répondre aux questions de la juge du tribunal de Sidi M’hamed et a dénoncé la violation de sa présomption d’innocence par le chef de l’Etat Abdelmadjid Tebboune. Ce dernier l’avait accusé quelques jours avant son procès de « khabardji » (informateur), lors d’une interview diffusée sur la télévision publique. Une ingérence dans le déroulement du travail de la justice qui a été dénoncée dans une pétition par un bon nombre d’intellectuels, de journalistes, de défenseurs des droits humains et de citoyens.
Un dossier vide
Condamné, en première instance à trois ans de prison ferme et deux avec sursis, la peine infligée à Ihsane El Kadi a été alourdie par la Cour de Ruisseau à cinq ans de prison ferme et deux avec sursis. Un verdict reçu comme un coup de massue, notamment après les révélations de ses avocats sur les prétendus fonds qu’il aurait perçu pour faire de la « propagande politique ». Il s’agit, en effet, d’un montant de 25 mille livres sterling (28 000 euros), envoyé en plusieurs tranches, depuis l’Angleterre, par sa fille Tin Hinane El Kadi, en tant qu’actionnaire à Interface Médias, pour payer les salaires des employés, notamment pendant la pandémie du covid19.
La société traversait une crise financière et ses comptes bancaires étaient gelés après un redressement fiscal.« A partir de 2020, nous avons demandé aux actionnaires d’injecter de l’argent dans la société et qu’on allait les rembourser. Ma fille Tin Hinane, qui est actionnaire, a été la première à avoir envoyé sa contribution », a expliqué Ihsane El Kadi lors de son procès.
Les avocats sont unanimes sur la vacuité du dossier. Pour rappel, le 95bis condamne quiconque reçoit des fonds, un don ou un avantage, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, pour faire de la propagande politique ou commettre ou inciter à commettre des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l’État.
Si la réception de l’aide d’une des actionnaires est avérée, le procureur général n’a avancé aucun élément démontrant l’utilisation des fonds à des fins de propagande ou de nuisance à la sécurité de l’Etat. Au procès en appel Me Fetta Sadet avait rappelé qu’accuser Ihsane El Kadi sur la base du 95 bis voulait dire que “le journaliste est considéré comme un “danger pour l’Etat”, alors qu’il n’a fait qu’exercer son droit constitutionnel en faisant son travail de journaliste. »
En décembre 2023, Marry Lawlor, l’envoyée onusienne chargée des droits de l’Homme avait souligné que l’article 95 bis allait à l’encontre de la déclaration de l’ONU et a exhorté les autorités algériennes à modifier cette disposition restrictive.
Etouffer la dernière voix discordante
A travers Radio M, Ihsane El Kadi a ouvert le débat sur les questions d’actualité à toutes les voix. Durant ses dix ans d’existence, plusieurs personnalités ont défilé sur le plateau de Radio M, dont des personnalités politiques, des experts, des écrivains, d’anciens ministres et généraux, et même le prix Nobel d’économie 2014 Jean Tirole.
L’étau a commencé à se resserrer, en 2019, dans la foulée de la répression du Hirak. Radio M s’était démarquée sur la scène médiatique algérienne par sa couverture du mouvement populaire en ouvrant, notamment, son espace aux débats. Plusieurs fois convoqué et arrêté, Ihsane El Kadi a été poursuivi la première fois en justice à cause d’un blog dans lequel il analyse la place du mouvement Rachad dans le Hirak. Une plainte a été déposée contre lui par l’ancien ministre de la communication Ammar Belhimer. Le journaliste a été condamné à six mois de prison ferme en juin 2022 pour « diffamation ». La peine a été confirmée en appel, en décembre de la même année, pendant qu’Ihsane El Kadi était en garde à vue dans les locaux de la DGSI. Cette fois, son arrestation serait aussi en lien direct avec ses écrits.
Quelques heures avant son arrestation, Ihsane El Kadi avait posté sur X dans une publication dans laquelle il remet en cause le chiffre de 20 milliards de dollars annoncé par le chef de l’Etat Abdelmadjid Tebboune et qui représente prétendument le montant récupéré des fonds détournés par les anciens oligarques, ministres et responsables, surnommés el issaba,sous l’ère du président défunt Abdelaziz Bouteflika. Ihsane El Kadi a également analysé, dans un blog, publié le 17 décembre 2022, les rapports entre l’armée et la présidence algérienne et les enjeux de l’élection présidentielle de 2024.
Considéré comme cause probable de son arrestation, trois médias, à savoir la plateforme l’Orient XXI, le site d’information Twala.info et Médiapart, ont republié ce blog en soutien au journaliste et à la liberté de la presse.